Boule et Bill

Extrait du pamphlet "Quand la cause finira-t-elle par nous réunir" d'Aristéphale, émissaire Grec au service de l'Empire Romain, 217 ap. JC.

Vint l'âge où les pierres se changeaient d'elle-même en étain, et leur couleur ocre leur donnait un air fascinant. L'hôte se rabaissa et prit une poignée de ces pierres qu'il contempla dans ses mains moites. La plus grosse avait un reflet doré, il décida de l'appeler Boule. La seconde avec une forme de coquille d'huître, il l'appela Bill. Puis il prit son cutter et commença à les tailler, d'abord grossièrement, puis avec de plus en plus de précision. Il n'avait aucune idée du résultat final, mais il se laissait guider par sa Foi. Des journées durant il taillait les deux blocs auquel il commençait à s'attacher.

Un jour, le percepteur vint à sa demeure et il demanda de rembourser ses dettes. Il devait une somme considérable au pélerin de l'An Dernier, à qui il avait demandé l'absolution pour ses péchés. Le percepteur n'avait guère de patience et s'était entouré de nombreux soldats. Bientôt ils entrèrent dans la chaumière de l'hôte au nom inconnu, et ils aperçurent les deux pierres superbement taillées sur le rebord de la cheminée. L'une ressemblait à un jeune garçon aux cheveux de reflets dorés, l'autre se confondait en un chien aux longues oreilles. Ils s'emparèrent du butin, alors même que l'hôte anonyme les suppliait de ne pas y toucher. Il avait travaillé 6 mois durant sur ces pierres et il leur accordait beaucoup d'affection et d'amour.

- Allons bon, vieux fou, tu donnes ton amour aux cailloux désormais ? lui lança le percepteur. Tu devrais être châtié pour ce péché, c'est à ton Roi, et uniquement à lui, que tu te dois de donner toute ta dévotion.
- Laissez-les, elles sont ma seule richesse, ma seule raison d'existence, leur répondit-il.
- Emmenez-le, il a perdu la raison, peut-être que les geôles sauront lui redonner un peu de bon sens.

Alors, les gardes le portèrent sur leurs épaules pendant qu'il se répandait en sanglots. Ils l'emmenèrent au palais où il fût jeté aux cachots sans aucune forme de jugement. L'hôte sans nom était extrêmement malheureux, pas parce qu'il était en prison, mais parce qu'il ne pouvait plus contempler ses deux pierres qu'il avait façonné avec tant de passion. Il passa l'hiver à survivre avec les seules rations que lui ramenaient les gardes à intervalles réguliers. Un jour alors qu'il se pensait abandonné de toutes ses forces et gravement malade, on fit retentir les barreaux de sa modeste cellule. Il leva les yeux mais ceux-ci étaient injectés de sang ce qui l'aveuglait. "Regarde moi", entendit-il. Alors sa vision troublée se dissipa et il vit distinctement à nouveau. Il aperçu, dressé derrière les barreaux, un jeune garçon aux cheveux de reflets dorés qui le regardait fixement. A ses pieds, se trouvait un petit chien aux longues oreilles. "Toi qui a cru en nous, ton amour nous a donné vie, et a sauvé la tienne", lui lança le garçon.

Il pensa être devenu fou, alors il se leva et passa ses bras à travers les barreaux, afin de les toucher de ses propres mains. Il sentit la peau du garçon sous ses doigts, ainsi que la douceur des poils du chien. Il réalisa alors que tout était réel. "Désormais, plus rien ne t'arrivera, tant que tu seras avec nous", continua le garçon.
Alors, il sortit de sa cellule, qui s'ouvrit comme par enchantement. Puis il suivit ses deux nouveaux amis, et ensemble ils allèrent indéfiniment, sans jamais rencontrer de blessure et de tristesse. Ils allèrent, sans arrêt, ils allèrent.